– Hein ? fit-il comme un homme subitement réveillé.
– Eh bien ! cette clef ?
– Quelle clef ? La clef de la porte ?
– Mais non, m’écriai-je, la clef du document ! »
Le professeur me regarda par-dessus ses lunettes.
Je remuai la tête de haut en bas. Il secoua la sienne avec une sorte de pitié, comme s’il avait affaire à un fou. Je fis un geste plus affirmatif.[26]
« Oui, cette clef !… le hasard !…
– Que dis-tu ? s’écria-t-il avec une indescriptible émotion.
– Tenez, dis-je en lui présentant la feuille de papier sur laquelle j’avais écrit, lisez.
– Mais cela ne signifie rien ! répondit-il en froissant la feuille.
– Rien, en commençant à lire par le commencement, mais par la fin… »
Je n’avais pas achevé ma phrase que le professeur poussait un cri, mieux qu’un cri, un véritable rugissement ! Une révélation venait de se faire, dans son esprit. Il était transfiguré.
« Ah ! ingénieux Saknussemm ! s’écria-t-il, tu avais donc d’abord écrit ta phrase à l’envers ? »
Et se précipitant sur la feuille de papier, l’œil trouble, la voix émue, il lut le document tout entier, en remontant de la dernière lettre à la première.
Il était conçu en ces termes :
In Sneffels Yoculis craterem kem delibat umbra Scartaris Julii intra calendas descende, audas viator, et terrestre centrum attinges. Kod feci. Arne Saknussem.
Ce qui, de ce mauvais latin, peut être traduit ainsi :
Descends dans le cratère du Yocul de Sneffels que l’ombre du Scartaris vient caresser avant les calendes de Juillet, voyageur audacieux, et tu parviendrasau centre de la Terre. Ce que j’ai fait.
Arne Saknussemm.
Mon oncle, à cette lecture, bondit comme s’il eût inopinément touché une bouteille de Leyde[27]. Il était magnifique d’audace, de joie et de conviction.
Il allait et venait ; il prenait sa tête à deux mains ; il déplaçait les sièges ; il empilait ses livres ; il jonglait avec ses précieuses géodes ; il lançait un coup de poing par-ci, une tape par-là. Enfin ses nerfs se calmèrent et, comme un homme épuisé, il retomba dans son fauteuil.
« Quelle heure est-il donc ? demanda-t-il après quelques instants de silence.
– Trois heures, répondis-je.
– Tiens ! mon dîner a passé vite. Je meurs de faim. À table. Puis ensuite…
– Ensuite ?
– Tu feras ma malle.
– Hein ! m’écriai-je.
– Et la tienne ! » répondit l’impitoyable professeur en entrant dans la salle à manger.
VI
À ces paroles un frisson me passa par tout le corps. Cependant je me contins. Je résolus même de faire bonne figure.[28] Des arguments scientifiques pouvaient seuls arrêter le professeur Lidenbrock. Or, il y en avait, et de bons, contre la possibilité d’un pareil voyage. Aller au centre de la terre ! Quelle folie !
Pendant le repas, mon oncle fut presque gai ; il lui échappait de ces plaisanteries de savant qui ne sont jamais bien dangereuses. Après le dessert, il me fit signe de le suivre dans son cabinet.