. Il me parait certain que la phrase primitive a été écrite régulièrement, puis retournée suivant une loi qu’il faut découvrir. Celui qui posséderait la clef de ce « chiffre » le lirait couramment. Mais quelle est cette clef ? Axel, as-tu cette clef ? »

À cette question je ne répondis rien, et pour cause. Mes regards s’étaient arrêtés sur un charmant portrait suspendu au mur, le portrait de Graüben. Nous nous aimions, et nous étions fiancés à l’insu de mon oncle, trop géologue pour comprendre de pareils sentiments. Graüben était une charmante jeune fille blonde aux yeux bleus ; je l’adorais. Elle m’aidait à ranger chaque jour les précieuses pierres de mon oncle ; elle les étiquetait avec moi. C’était une très forte minéralogiste que mademoiselle Graüben ! Que de douces heures nous avions passées à étudier ensemble ! et combien j’enviai souvent le sort de ces pierres insensibles qu’elle maniait de ses charmantes mains !

Or, j’en étais là de mon rêve, quand mon oncle, frappant la table du poing, me ramena violemment à la réalité.

« Ce n’est pas cela ! s’écria mon oncle, cela n’a pas le sens commun ! »

Puis, traversant le cabinet comme un boulet, descendant l’escalier comme une avalanche, il se précipita dans Königstrasse, et s’enfuit.

IV

« Il est parti ? s’écria Marthe en accourant au bruit de la porte de la rue.

– Oui ! répondis-je, complètement parti !

– Eh bien ? et son dîner ? fit la vieille servante.

– Il ne dînera pas !

– Et son souper ?

– Il ne soupera pas !

– Comment ? dit Marthe en joignant les mains.

– Non, bonne Marthe, il ne mangera plus, ni personne dans la maison ! Mon oncle Lidenbrock nous met tous à la diète jusqu’au moment où il aura déchiffré un vieux grimoire qui est absolument indéchiffrable !

– Jésus ! nous n’avons donc plus qu’à mourir de faim ! »

Je n’osai pas avouer qu’avec un homme aussi absolu que mon oncle, c’était un sort inévitable.

La vieille servante, sérieusement alarmée, retourna dans sa cuisine en gémissant.

Je me mis au travail. Je triai, j’étiquetai, je disposai dans leur vitrine toutes ces pierres creuses au dedans desquelles s’agitaient de petits cristaux.

Mais cette occupation ne m’absorbait pas. L’affaire du vieux document ne laissait point de me préoccuper étrangement. Ma tête bouillonnait, et je me sentais pris d’une vague inquiétude. J’avais le pressentiment d’une catastrophe prochaine.

Au bout d’une heure, mes géodes étaient étagées avec ordre. Je me laissai aller alors dans le grand fauteuil, les bras ballants et la tête renversée.

Où pouvait être mon oncle en ce moment ? Rentrerait-il triomphant ou découragé ? Qui aurait raison l’un de l’autre, du secret ou de lui ? Je m’interrogeais ainsi, et, machinalement, je pris entre mes doigts la feuille de papier sur laquelle s’allongeait l’incompréhensible série des lettres tracées par moi. Je me répétais :

« Qu’est-ce que cela signifie ? »

J’étais en proie à une sorte d’hallucination ; j’étouffais ; il me fallait de l’air. Machinalement, je m’éventai avec la feuille de papier[22], dont le verso et le recto se présentèrent successivement à mes regards.

Quelle fut ma surprise, quand dans l’une de ces voltes rapides, au moment où le verso se tournait vers moi, je crus voir apparaître des mots parfaitement lisibles, des mots latins, entre autres « craterem » et « terrestre » !

Soudain une lueur se fit dans mon esprit ; ces seuls indices me firent entrevoir la vérité ; j’avais découvert la loi du chiffre.

Je me penchai sur la table ; je posai mon doigt successivement sur chaque lettre, et, sans m’arrêter, sans hésiter un instant, je prononçai à haute voix la phrase tout entière.