”. Critique de l’hubris américaine, M. Jack Matlock, l’ambassadeur des États-Unis en Union soviétique entre 1987 et 1991, note que “trop d’hommes politiques américains voient la fin de la guerre froide comme s’il s’agissait d’une quasi-victoire militaire. <…> La question n’aurait pas dű être – élargir et non l’OTAN – mais plutôt d’explorer comment les États-Unis pouvaient garantir aux pays d’Europe centrale que leur indépendance serait préservée et, en même temps, créer en Europe un système de sécurité qui aurait confié la responsabilité de l’avenir du continent aux Européens eux-mêmes16.

Dans les années 1990, affaiblie par le chaos économique et social, la Russie n’a guère les moyens de défendre ses intérêts géopolitiques. Mais la timidité de sa réaction tient aussi à sa volonté de préserver son statut de grande puissance en tant que partenaire privilégié des Américains. Or, sur ce point, les Occidentaux ont laissé à la Russie quelques raisons d’espérer. Moscou a récupéré son arsenal nucléaire dispersé dans les anciennes républiques soviétiques avec la bénédiction de Washington; elle conserve son siège au conseil de sécurité des Nations; elle se voit offrir de siéger dans le club des grandes puissances capitalistes, le G7. “Il régnait à l’époque une atmosphère d’euphorie, se rappelle l’ancien vice-ministre des affaires étrangères (1986–1990) Anatoli Adamichine, nous pensions être dans le même bateau que l’Occident17”. Les dirigeants russes ne présentent pas tout . de suite l’élargissement comme une menace militaire. Ils s’inquiètent plutôt de leur isolement, qu’ils s’efforcent de prévenir en avançant une série de propositions18. Boris Eltsine formule dès décembre 1991 le souhait que son pays rejoigne l’organisation “à long terme”. Son ministre des affaires étrangères russe Andreï Kozyrev évoque la possibilité de subordonner l’Alliance aux décisions à la CSCE (en passe de devenir l’OSCE).

L’intervention de l’OTAN en ex-Yougoslavie en 1999, hors de tout mandat des Nations unies, fait prendre à la Russie la mesure de sa relégation stratégique. L’Alliance atlantique, dont elle est exclue, lui apparaît alors comme le bras armé d’un camp vainqueur, tellement assuré de sa force qu’il entend l’imposer, y compris en dehors de sa zone. “Le bombardement de Belgrade par l’OTAN [en 1999] a suscité une très grave déception pour ceux qui, comme moi, croyaient dans le projet de la maison commune européenne”, nous confie Youri Roubinski, premier conseiller politique à l’Ambassade de Russie à Paris entre 1987 et 1997. “L’élan vers l’Europe impulsé par Gorbatchev a cependant continué d’exercer sa force d’inertie positive de nombreuses années”.

Il est généralement admis que l’arrivée d’un ancien agent des services secrets russes à la tête de l’État russe en 2000 marque une rupture par rapport aux années Eltsine, présentées comme plus ouvertes sur l’Occident et plus démocratiques. C’est oublier que le premier mandat de M. Poutine commence sur une initiative très europhile. En 2001, depuis la tribune du Bundestag, il appelle l’Europe à “unir ses capacités au potentiel humain, territorial, naturel, économique, culturel et militaire de la Russie”. La même année, après les attentats du 11 septembre, la Russie propose une coalition contre le terrorisme, inspirée de celle qui a vaincu les nazis durant la seconde guerre mondiale. Mais en décembre de la même année, les États-Unis de nouveau en quête de supériorité militaire annoncent qu’ils sortent du traité sur les missiles antimissiles (ABM) signé par Brejnev et Nixon en 1972.