– Bigre! la bonne chose! s'écria Forestier.

Et ils mangeaient avec lenteur, savourant la viande fine et le légume onctueux comme une crème.

Duroy reprit:

– Moi, quand j'aime une femme, tout disparaît du monde autour d'elle.

Il disait cela avec conviction, s'exaltant à la pensée de cette jouissance d'amour, dans le bien-être de la jouissance de table qu'il goûtait.

Mme Forestier murmura, avec son air de n'y point toucher:

– Il n'y a pas de bonheur comparable à la première pression des mains, quand l'un demande: «M'aimez-vous?» et quand l'autre répond: «Oui, je t'aime.»

Mme de Marelle, qui venait de vider d'un trait une nouvelle flûte de champagne, dit gaiement, en reposant son verre:

– Moi, je suis moins platonique.

Et chacun se mit à ricaner, l'œil allumé, en approuvant cette parole.

Forestier s'étendit sur le canapé, ouvrit les bras, les appuya sur des coussins et d'un ton sérieux:

– Cette franchise vous honore et prouve que vous êtes une femme pratique. Mais peut-on vous demander quelle est l'opinion de M. de Marelle?

Elle haussa les épaules lentement, avec un dédain infini, prolongé, puis d'une voix nette:

– M. de Marelle n'a pas d'opinion en cette matière. Il n'a que des… que des abstentions.

Et la causerie, descendant des théories élevées sur la tendresse, entra dans le jardin fleuri des polissonneries distinguées.

Ce fut le moment des sous-entendus adroits, des voiles levés par des mots, comme on lève des jupes, le moment des ruses de langage, des audaces habiles et déguisées, de toutes les hypocrisies impudiques de la phrase qui montre des images dévêtues avec des expressions couvertes, qui fait passer dans l'œil et dans l'esprit la vision rapide de tout ce qu'on ne peut pas dire, et permet aux gens du monde une sorte d'amour subtil et mystérieux, une sorte de contact impur des pensées par l'évocation simultanée, troublante et sensuelle comme une étreinte, de toutes les choses secrètes, honteuses et désirées de l'enlacement. On avait apporté le rôti, des perdreaux flanqués de cailles, puis des petits pois, puis une terrine de foies gras accompagnée d'une salade aux feuilles dentelées, emplissant comme une mousse verte un grand saladier en forme de cuvette. Ils avaient mangé de tout cela sans y goûter, sans s'en douter, uniquement préoccupés de ce qu'ils disaient, plongés dans un bain d'amour.

Les deux femmes, maintenant, en lançaient de roides, Mme de Marelle avec une audace naturelle qui ressemblait à une provocation, Mme Forestier avec une réserve charmante, une pudeur dans le ton, dans la voix, dans le sourire, dans toute l'allure, qui soulignait, en ayant l'air de les atténuer, les choses hardies sorties de sa bouche.

Forestier, tout à fait vautré sur les coussins, riait, buvait, mangeait sans cesse et jetait parfois une parole tellement osée ou tellement crue que les femmes, un peu choquées par la forme et pour la forme, prenaient un petit air gêné qui durait deux ou trois secondes. Quand il avait lâché quelque polissonnerie trop grosse, il ajoutait:

– Vous allez bien, mes enfants. Si vous continuez comme ça, vous finirez par faire des bêtises.

Le dessert vint, puis le café; et les liqueurs versèrent dans les esprits excités un trouble plus lourd et plus chaud.

Comme elle l'avait annoncé en se mettant à table, Mme de Marelle était pocharde, et elle le reconnaissait, avec une grâce gaie et bavarde de femme qui accentue, pour amuser ses convives, une pointe d'ivresse très réelle.

Mme Forestier se taisait maintenant, par prudence peut-être; et Duroy se sentant trop allumé pour ne pas se compromettre, gardait une réserve habile.