Il n'était pas encore neuf heures, et il gagna le parc Monceau tout frais de l'humidité des arrosages.
S'étant assis sur un banc, il se remit à rêver. Un jeune homme allait et venait devant lui, très élégant, attendant une femme sans doute.
Elle parut, voilée, le pied rapide, et, ayant pris son bras, après une courte poignée de main, ils s'éloignèrent.
Un tumultueux besoin d'amour entra au cœur de Duroy, un besoin d'amours distinguées, parfumées, délicates. Il se leva et se remit en route en songeant à Forestier. Avait-il de la chance, celui-là!
Il arriva devant sa porte au moment où son ami sortait.
– Te voilà! à cette heure-ci! Que me voulais-tu?
Duroy, troublé de le rencontrer ainsi comme il s'en allait, balbutia:
– C'est que… c'est que… je ne peux pas arriver à faire mon article, tu sais, l'article que M. Walter m'a demandé sur l'Algérie. Ça n'est pas bien étonnant, étant donné que je n'ai jamais écrit. Il faut de la pratique pour ça comme pour tout. Je m'y ferai bien vite, j'en suis sûr, mais, pour débuter, je ne sais pas comment m'y prendre. J'ai bien les idées, je les ai toutes, et je ne parviens pas à les exprimer.
Il s'arrêta, hésitant un peu. Forestier souriait avec malice:
– Je connais ça.
Duroy reprit:
– Oui, ça doit arriver à tout le monde en commençant. Eh bien, je venais… je venais te demander un coup de main… En dix minutes tu me mettrais ça sur pied, toi, tu me montrerais la tournure qu'il faut prendre. Tu me donnerais là une bonne leçon de style, et sans toi, je ne m'en tirerai pas.
L'autre souriait toujours d'un air gai. Il tapa sur le bras de son ancien camarade et lui dit:
– Va-t'en trouver ma femme, elle t'arrangera ton affaire aussi bien que moi. Je l'ai dressée à cette besogne-là. Moi, je n'ai pas le temps ce matin, sans quoi je l'aurais fait bien volontiers.
Duroy, intimidé soudain, hésitait, n'osait point:
– Mais, à cette heure-ci, je ne peux pas me présenter devant elle?..
– Si, parfaitement. Elle est levée. Tu la trouveras dans mon cabinet de travail, en train de mettre en ordre des notes pour moi.
L'autre refusait de monter.
– Non… ça n'est pas possible…
Forestier le prit par les épaules, le fit pivoter sur ses talons, et le poussant vers l'escalier:
– Mais, va donc, grand serin, quand je te dis d'y aller. Tu ne va pas me forcer à regrimper mes trois étages pour te présenter et expliquer ton cas.
Alors Duroy se décida:
– Merci, j'y vais. Je lui dirai que tu m'as forcé, absolument forcé à venir la trouver.
– Oui. Elle ne te mangera pas, sois tranquille. Surtout n'oublie pas, tantôt, trois heures.
– Oh! ne crains rien.
Et Forestier s'en alla d'un air pressé, tandis que Duroy se mit à monter lentement, marche à marche, cherchant ce qu'il allait dire et inquiet de l'accueil qu'il recevrait.
Le domestique vint lui ouvrir. Il avait un tablier bleu et tenait un balai dans ses mains.
– Monsieur est sorti, dit-il sans attendre la question.
Duroy insista:
– Demandez à Mme Forestier si elle peut me recevoir, et prévenez-la que je viens de la part de son mari, que j'ai rencontré dans la rue.
Puis il attendit. L'homme revint, ouvrit une porte à droite, et annonça:
– Madame attend monsieur.
Elle était assise sur un fauteuil de bureau, dans une petite pièce dont les murs se trouvaient entièrement cachés par des livres bien rangés sur des planches de bois noir. Les reliures de tons différents, rouges, jaunes, vertes, violettes et bleues, mettaient de la couleur et de la gaieté dans cet alignement monotone de volumes.