Tous les hommes maintenant parlaient en même temps, avec des gestes et des éclats de voix; on discutait le grand projet du chemin de fer métropolitain. Le sujet ne fut épuisé qu'à la fin du dessert, chacun ayant une quantité de choses à dire sur la lenteur des communications dans Paris, les inconvénients des tramways, les ennuis des omnibus et la grossièreté des cochers de fiacre.
Puis on quitta la salle à manger pour aller prendre le café. Duroy, par plaisanterie, offrit son bras à la petite fille. Elle le remercia gravement, et se haussa sur la pointe des pieds pour arriver à poser la main sur le coude de son voisin.
En entrant dans le salon, il eut de nouveau la sensation de pénétrer dans une serre. De grands palmiers ouvraient leurs feuilles élégantes dans les quatre coins de la pièce, montaient jusqu'au plafond, puis s'élargissaient en jets d'eau.
Des deux côtés de la cheminée, des caoutchoucs, ronds comme des colonnes, étageaient l'une sur l'autre leurs longues feuilles d'un vert sombre, et sur le piano deux arbustes inconnus, ronds et couverts de fleurs, l'un tout rose et l'autre tout blanc, avaient l'air de plantes factices, invraisemblables, trop belles pour être vraies.
L'air était frais et pénétré d'un parfum vague, doux, qu'on n'aurait pu définir, dont on ne pouvait dire le nom.
Et le jeune homme, plus maître de lui, considéra avec attention l'appartement. Il n'était pas grand; rien n'attirait le regard en dehors des arbustes; aucune couleur vive ne frappait; mais on se sentait à son aise dedans, on se sentait tranquille, reposé; il enveloppait doucement, il plaisait, mettait autour du corps quelque chose comme une caresse.
Les murs étaient tendus avec une étoffe ancienne d'un violet passé, criblée de petites fleurs de soie jaune, grosses comme des mouches.
Des portières en drap bleu gris, en drap de soldat où l'on avait brodé quelques œillets de soie rouge, retombaient sur les portes; et les sièges, de toutes les formes, de toutes les grandeurs, éparpillés au hasard dans l'appartement, chaises longues, fauteuils énormes ou minuscules, poufs et tabourets, étaient couverts de soie Louis XVI ou de beau velours d'Utrecht, fond crème, à dessins grenat.
– Prenez-vous du café, monsieur Duroy?
Et Mme Forestier lui tendait une tasse pleine, avec ce sourire ami qui ne quittait point sa lèvre.
– Oui, madame, je vous remercie.
Il reçut la tasse, et comme il se penchait plein d'angoisse pour cueillir avec la pince d'argent un morceau de sucre dans le sucrier que portait la petite fille, la jeune femme lui dit à mi-voix:
– Faites donc votre cour à Mme Walter.
Puis elle s'éloigna avant qu'il eût pu répondre un mot.
Il but d'abord son café qu'il craignait de laisser tomber sur le tapis; puis, l'esprit plus libre, il chercha un moyen de se rapprocher de la femme de son nouveau directeur et d'entamer une conversation.
Tout à coup il s'aperçut qu'elle tenait à la main sa tasse vide; et, comme elle se trouvait loin d'une table, elle ne savait où la poser. Il s'élança.
– Permettez, madame.
– Merci, monsieur.
Il emporta la tasse, puis il revint:
– Si vous saviez, madame, quels bons moments m'a fait passer la Vie Française quand j'étais là-bas dans le désert. C'est vraiment le seul journal qu'on puisse lire hors de France, parce qu'il est plus littéraire, plus spirituel et moins monotone que tous les autres. On trouve de tout là dedans.
Elle sourit avec une indifférence aimable, et répondit gravement:
– M. Walter a eu bien du mal pour créer ce type de journal, qui répondait à un besoin nouveau.